QU'EN PENSE Hannah Arendt, philosophe bien connue et de grand renom ?
"La Terre est la quintessence de la condition
humaine, et la nature terrestre, pour autant que l'on sache, pourrait bien être
la seule de l'univers à procurer aux humains un habitat où ils puissent se
mouvoir et respirer sans effort et sans artifice. L'artifice humain du monde
sépare l'existence humaine de tout milieu purement animal, mais la vie
elle-même est en dehors de ce monde artificiel, et par là, l'homme demeure lié
à tous les autres organismes vivants. Depuis quelques temps, un grand nombre de
recherches scientifiques s'efforcent de rendre la vie "artificielle"
elle aussi, et de couper le dernier lien qui maintient encore l'homme parmi les
enfants de la nature. C'est le même désir d'échapper à l'emprisonnement
terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette, dans le
voeu de combiner « au microscope le plasma germinal provenant de personnes aux
qualités garanties, afin de produire des êtres supérieurs » et « de modifier
(leurs) tailles, formes et fonctions »; et je soupçonne que l'envie d'échapper
à la condition humaine expliquerait aussi l'espoir de prolonger la durée de
l'existence fort au-delà de cent ans, limite jusqu'ici admise.
Cet homme futur, que les savants produiront, nous
disent-ils, en un siècle pas davantage, paraît en proie à la révolte contre
l'existence humaine telle qu'elle est donnée, cadeau venu de nulle part
(laïquement parlant) et qu'il veut pour ainsi dire échanger contre un ouvrage
de ses propres mains. Il n'y a pas de raison de douter que nous soyons capables
de faire cet échange, de même qu'il n'y a pas de raison de douter que nous
soyons capables à présent de détruire toute vie organique sur terre. La seule
question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles
connaissances scientifiques et techniques, et l'on ne saurait en décider par
des méthodes scientifiques. C'est une question politique primordiale que l'on
ne peut guère, par conséquent, abandonner aux professionnels de la science ni à
ceux de la politique"[1].
RD
[1]
Hannah Arendt, « La Condition de l’homme moderne » (1958), Chap.
III, §1, tr. G. Fradier, Pocket, pp. 34-35. http://sergecar.perso.neuf.fr/textes_2/arendt16.htm
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