Jean
Staune a écrit à partir d’un livre intitulé « Science et Sens » sur son
site Internet[1],
une réflexion qui permet de retracer le cheminement de la condition humaine de
la Préhistoire de l’Homme jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’une rencontre entre
les connaissances les plus récentes et les intuitions millénaires des hommes.
« Nous
venons de fêter le cinquantième anniversaire de la disparition de Saint-Exupéry
; l’une de ses dernières lettres était intitulée "Que faut-il dire aux
hommes ?" et c’est d’elle que nous partirons pour voir comment, un demi-siècle
après, cette interrogation peut être développée.
Pour
Saint-Exupéry, la question clé était celle des fondements. Dans un monde où l’on
sait de mieux en mieux "comment" faire les choses, on sait de moins
en moins "pourquoi" les faire. La perte de la dimension spirituelle
de l’existence humaine, la réduction de celle-ci aux seuls problèmes de
production et de consommation, la réduction du monde à sa seule dimension matérielle
et technique — celle des choses au détriment de la prise en compte des liens
entre les choses — ouvrent selon lui un gouffre qui engloutira notre
civilisation et avec elle toute forme d’humanisme... À moins que ce mouvement
puisse être inversé.
Nous
devons donc retrouver des liens pouvant nous unir aux autres, à la nature, à l’univers
et même à nos activités de consommation et de production de notre vie de tous
les jours, liens susceptibles de construire une civilisation qui sauvegardera l’humanisme
auquel nous aspirons. »
Le 18
décembre 1994, lorsque Jean-Marie Chauvet et ses deux compagnons pénètrent dans
la grotte de Vallon-Pont-d’Arc, ils savent immédiatement que la découverte de
ce "nouveau Lascaux" va faire le tour du monde. Mais l’information la
plus importante est passée en grande partie inaperçue : ce n’est pas
l’existence de ces merveilleuses peintures datant de près de 30.000 ans avant
notre ère - car on connaissait déjà les qualités artistiques des hommes
préhistoriques - mais ce crâne d’ours trônant sur une sorte d’autel entouré
d’un cercle de trente autres crânes d’ours.
Participant
trois ans auparavant à un colloque du CNRS et ayant fait allusion à l’hypothèse
selon laquelle la première religion aurait été un culte de l’Ours, je me fis
rembarrer en ces termes par l’un des grands paléontologues français : « La
religion de l’ours c’est l’ours lui-même qui l’a inventée ! C’est parce
que les ours sont venus mourir dans des grottes auparavant habitées par des
hommes que l’on a cru que les ossements d’ours avaient été volontairement
mélangés à ceux des morts par les hommes préhistoriques. » La grotte Chauvet,
en démontrant de façon irréfutable l’existence de ce culte de l’ours, détruit
cette argumentation.
Pourquoi
est-ce si important ? Des chercheurs venant d’horizons aussi divers qu’un
historien des religions comme Mircea Eliade, un zoologiste comme Pierre-Paul
Grassé, un ethnologue comme Jean Servier sont tous d’accord pour affirmer
qu’Homo sapiens est avant tout un "Homo religiosus". C’est le fait de développer une religion,
d’enterrer ses morts avec des parures et des fleurs, de leur rendre un culte et
d’être conscient de sa propre finitude qui sépare définitivement l’homme de
l’animal. Or, si la plus ancienne religion dont on puisse avoir la trace
est bien un culte de l’ours, cela indique qu’à l’image de l’ours qui paraît
mourir chaque hiver et qui "ressuscite" de façon
"énigmatique" à chaque printemps, les hommes préhistoriques croyaient
à la survie des morts, ce que confirment les traces de nourritures que l’on a
relevées dans de très anciennes sépultures.
C’est
une caractéristique fondamentale de la condition humaine que de s’interroger
sur le pourquoi des choses qui nous entourent et sur notre propre destinée. On
sait que pendant des millénaires, l’homme, devant les phénomènes inexpliqués
qu’il voyait autour de lui : tempêtes, volcanisme, tonnerres, maladies,
etc... ne pouvait faire autrement que d’en attribuer la cause à l’action de
forces invisibles qui, bien que ne faisant pas partie du monde, avaient un
impact sur le monde. C’est ainsi que naquirent les dieux. L’existence d’un
culte de l’ours semble montrer qu’à ce premier concept s’est très vite joint un
deuxième : celui de la survie de
l’homme après la mort.
Après
tout, cela est parfaitement logique : puisque le monde est constamment
agité par les conséquences d’actes d’esprits que l’on ne voit pas, ce qui
implique qu’ils existent dans un autre niveau de réalité que celui que nous
percevons et où nous vivons, pourquoi ne pas penser que, de même que nous
sommes apparus un jour dans ce monde (puisque l’on constate l’arrivée d’êtres
qui auparavant n’étaient pas là) , quand nous quittons ce monde quelque chose
de nous-même rejoint cet autre niveau de réalité. Sous des formes plus
développées, toutes les grandes traditions religieuses de l’humanité ont repris
ces deux concepts : le monde où nous vivons ne peut pas être expliqué à
partir de lui-même.
Il y
a une incomplétude radicale de ce monde : sans l’intervention des Esprits,
des dieux ou de Dieu il n’y a pas d’explication cohérente du Monde qui tienne.
Pour l’expliquer il est donc nécessaire de faire appel à un autre niveau de
réalité dont on ne sait presque rien ... sauf qu’il doit forcément exister. Et
s’il y a un autre niveau de réalité, une autre façon d’exister que celle que
nous éprouvons tous les jours, il est logique de penser que nous rejoignons ce
niveau après notre mort.
L’existence
d’un autre niveau de réalité et l’existence d’un lien particulier entre l’homme
et cet autre niveau apparaissent donc comme les intuitions majeures de
l’humanité, celles qui furent présentes en tout temps et en tous lieux.
Pour bien comprendre son point de vue, il y a lieu de lire son texte au complet, intitulé : « Que faut-il dire aux hommes ?
RD
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