DÉJÀ, À CE STADE-CI, IL NOUS SEMBLE IMPORTANT DE POSER LES JALONS DE L'HOMME DU FUTUR. VOYONS CE QU'EN PENSE JOËL DE ROSNEY.
Joël de Rosney
Conseiller du Président
Cité des Sciences et de l'Industrie – La Villette – Paris
– France
Qui sera l’homme du futur ?
De manière schématique, on peut considérer qu’il
existe deux visions de l’homme du futur. L’une proche de la
science fiction, à laquelle je n’adhère pas, et l’autre
qui se rapproche d’une démarche de « technologue humaniste
», avec laquelle je me sens plus à l’aise. La première
vision débouche presque toujours sur le « mutant »,
le « cyborg » ou « l’homme bionique ». Le
mutant c’est un être vivant qui se modifie par des mutations
biologiques. Le cyborg, un homme-robot ou un être humain dont la
biologie s’est mécanisée et la mécanique «
biologisée ». Et l’homme bionique, un être qui
intègre des parties bioniques remplaçant ou augmentant des
fonctions déficientes. Ma vision personnelle se fonde sur une co-évolution
de l’homme et de la société. Je l’appelle une
évolution anthropo-technico-sociétale. Ce qui signifie que
la transformation de l’homme me paraît inséparable de
son intégration dans la société qui, elle-même,
le transforme en retour.
Quelles sont les grandes évolutions à venir ?
Il existe trois types d’évolutions qui s’accélèrent
: l’évolution biologique, technologique et numérique.
La première a demandé des millions d’années.
Elle se réalise « en direct » dans la nature par essais
et erreur. C’est le monde réel. Puis l’homme émerge
avec son cerveau et crée le monde imaginaire. Il peut inventer
dans sa tête une roue par exemple et en faire le dessin. Cette relation
entre le monde réel et le monde imaginaire favorise l’accélération
de l’évolution technologique qui se déroule en quelques
siècles. L’homme invente alors l’ordinateur, le cyberespace
et à partir de là, vient s’insérer un troisième
monde, le monde numérique, le « virtuel ». Dans ce
monde, on peut inventer des objets, mais aussi les fabriquer et les faire
fonctionner à travers des simulations, ce qui induit la prodigieuse
accélération de l’évolution que nous vivons
aujourd’hui.
Quel sera l’impact pour l’homme ?
L’évolution vers l’homme du futur est une évolution
par extériorisation de fonctions, sous la forme de prothèses
qui s’interconnectent. Les premières prothèses inventées
sont des prothèses de nature physique. Par exemple, l’homme
se déplace avec ses jambes, mais pour aller plus vite ou tirer
de lourdes charges, il invente la roue. Sa mémoire, il l’extériorise
par l’écriture et le livre. Ensuite viennent l’aile de
l’avion qui imite l’oiseau, l’appareil photo pour l’œil,
l’Internet pour certaines extensions du cerveau. Depuis, les prothèses
physiques se sont transformées en prothèses numériques
qui se connectent entre elles, créant l’être humain
d’aujourd’hui intégrant une série d’outils
qui le relient à un « macro organisme planétaire »,
que j’ai appelé dans mon livre « l’Homme Symbiotique
», le cybionte (cyb de cybernétique et bio de biologie).
L’homme du futur sera le résultat d’une complémentarité,
et il faut l’espérer, d’une symbiose, entre un être
vivant biologique et ce macro organisme hybride (électronique,
mécanique, biologique) qui se développe à une vitesse
extraordinaire sur la Terre et qui va déterminer, en partie, son
avenir.
Voyez-vous des limites à cette évolution ?
Il existe schématiquement trois étapes dans l’évolution
vers l’homme de demain. L’homme « réparé
», qui apparaîtra de plus en plus fréquemment avec
des greffes, ou des prothèses. L’homme « transformé
», implanté de puces bioélectroniques créant
des circuits internes capables de détecter des erreurs métaboliques
et de les corriger, par exemple pour la maladie de Parkinson. De tels
implants pouvant être également une rétine artificielle
ou une pompe à insuline détectant l’excès de
glucose dans le sang. L’homme transformé peut intégrer
les avantages de l’intelligence artificielle, coupler son cerveau
à des cerveaux informatiques qui l’aident à traiter
des problèmes complexes. Cet homme est de surcroît transformé
par les nouvelles interfaces homme/machine. C’est une transformation
par « explantation » plutôt que par « implantation
». Il devient ainsi le « neurone » d’un réseau
plus grand que lui, auquel il s’interface. Ces transformations vont
se faire, mais il faut placer les barrières éthiques nécessaires
pour évaluer les conséquences pour l’humanité
de telles avancées technologiques et éviter les déviances.
Enfin, la dernière étape est celle de l’homme «
augmenté », pour lequel j’ai des réserves. Elle
peut en effet conduire au « surhomme ». Une évolution
susceptible de créer des différences entre les alphas, les
bêtas, ou les gammas, comme le pressentait Aldous Huxley dans le
« Meilleur des mondes ». Sur un plan éthique, il faut
s’y opposer, car cette dérive créerait des fossés
profonds entre les êtres humains.
Ces transformations posent-t-elle un problème d’identité
pour l’homme ?
Un être vivant implanté ou augmenté, fait de pièces
détachées, est-il toujours un être humain ? Des chercheurs
ont déjà réussi à transférer l’information
venant du cerveau d’un singe vers des bras articulés artificiels
situé à 1000 km de distance via internet. Le singe qui voyait
des aliments sur un écran de télévision, arrivait
à les saisir à distance juste par la pensée. Mais
la représentation d’un corps ainsi étendu reste-elle
dans la tête ? Nous connaissons les endroits du cerveau qui servent
à manipuler les membres. Mais si nous pouvons animer des bras à
distance, ce corps étendu est-il toujours un corps ? Je pense que
non, car nous touchons au fondement même de la nature humaine. Il
faut réfléchir à ce que nous sommes en train de faire
pour ne pas altérer ce qu’il y a de plus naturel en l’homme,
qui fait son originalité et sa force : sa capacité de ressemblance
et de différence avec les autres. Et un être implanté,
transformé, explanté ne répond plus aux mêmes
critères
Comment canaliser les avancées dans ce domaine ?
Plusieurs niveaux de régulation sont envisageables. La communauté
scientifique qui publie ses travaux en respectant certaines règles,
exerce un premier niveau de régulation sur les déviances
possibles. Ce premier niveau doit s’accompagner d’une démarche
éthique : bioéthique (biologie), infoéthique (information)
et écoéthique (écologie), pour ne pas faire n’importe
quoi sur l’être humain et maîtriser le monde que l’on
va laisser à nos enfants. Cette démarche doit rassembler
des autorités morales, religieuses, scientifiques, politiques.
Le troisième niveau est celui du consensus citoyen, capable d’influer
sur des sujets qui concernent directement les individus en société
(la vache folle, le clonage thérapeutique, la pollution industrielle
etc.). Enfin une régulation politique, au sens le plus élevé
du terme. Soumis à des arbitrages constants sur les choix de société,
sur les budgets qu’ils nécessitent, et sur les hommes capables
de les conduire, le Politique se retrouve dans des situations d’arbitrage
et de décisions pesant lourdement sur la construction de l’avenir.
Source : http://synergetik.epikurieu.com/index.php?no=7&dossier=12
RD