Une
tranche importante de la population mondiale bascule dans l’âge des seniors[1].
Pour Vincent Caradec, professeur en sociologie à
l’université de Lille 3, co-auteur de « Sociologie de la vieillesse et du
vieillissement », il faut interroger la notion de “senior”. Qu’est-ce qu’un
senior ? On se trouve face à une multiplicité de définition si l’on essaye d’y
intégrer les barrières mouvantes de l’âge. Parle-t-on des 50 ans et plus ? Des
60 ans et plus ? Des 55-64 ans ? On parle de seniors pour désigner les plus de
45 ans dans l’entreprise ! Parfois, “seniors” est synonyme de personnes âgées,
parfois au contraire il est son antonyme et s’oppose aux “vrais vieux”. Le
terme possède certains mérites : il est neuf et cherche à traduire les
changements importants qui interviennent lors de la période de retraite.
Ces
changements, quels sont-ils ?
- Une expansion importante et rapide du temps de retraite ;
- une augmentation de l’espérance de vie des plus de 60 ans ;
- la baisse de l’âge de la cessation de l’activité, en France notamment, par une culture de la sortie précoce du monde du travail.
La
durée moyenne de retraite a augmenté : la retraite a cessé d’être l’antichambre
de la mort pour devenir une nouvelle étape de l’existence, une étape valorisée
et attendue, une “nouvelle jeunesse” qui mise sur le temps libre. Des
changements extrêmement importants sont intervenus dans les pratiques et les
modes de vie. Les seniors sont en bien meilleure santé, plus actifs. Ils ont
perdu, dans un certain nombre de domaines, de leur spécificité par rapport aux
plus jeunes : par exemple, le taux de départ en vacances des seniors a dépassé
en 2004 le taux de départ de la moyenne des Français. À la suite du sociologue Anthony Giddens, on parle d’ailleurs de “société rajeunissante” pour
désigner ces personnes “âgées” qui deviennent de plus en plus jeunes.
Mais
ce nouveau terme de “seniors” a aussi des inconvénients. La catégorie est trop
large : l’ensemble des seniors est hétérogène, tant du point de vue de l’âge
(du quinquagénaire au nonagénaire) que du point de vue du sexe, de la condition
sociale… De plus, bon nombre de gens ne se reconnaissent pas sous cette
étiquette.
Après
avoir analysé les significations du mot “senior”, Vincent Caradec expose la
manière dont le rapport au monde se traduit au fur et à mesure qu’on avance en
âge.
Un
concept important dans ce domaine est la “déprise” explique-t-il. Au fur et
mesure qu’on vieillit, on se trouve confronté à des contraintes de plus en plus
fortes. Cela se caractérise par l’abandon de certaines activités, mais qui peuvent
être remplacées par d’autres. Si certaines activités sont abandonnées, c’est
pour pouvoir mieux conserver celles auxquelles on tient le plus. “La déprise
est un processus actif de reconversion”. Ainsi, par exemple, on continue à
effectuer une activité, mais sur une plus petite échelle (on réduit la taille
de son jardin potager, ou on limite sa participation à une association…) ; on
trouve des substituts (on ne va plus à la messe, mais on la regarde à la
télévision)…
La déprise n’est pas un processus systématique
et inéluctable. Elle intervient en fonction de certains évènements déclencheurs
: problèmes de santé, amoindrissement de l’impulsion vitale, baisse des
opportunités d’engagements, baisse des sollicitations…
Parfois les enfants s’inquiètent du maintien
de certaines activités et souhaitent voir leurs parents les abandonner (l’usage
de la voiture par exemple). La déprise se construit dans l’interaction entre la
personne âgée et son entourage, son environnement, et, pour certaines personnes
âgées, la déprise n’intervient pas ou peu (exemple d’Henri Salvador qui se
produisait sur scène à 90 ans ou bien Manoel De Oliveira qui tourne encore des
films à 100 ans).
Chez les plus âgés, se développe aussi un
sentiment d’étrangeté au monde. Comme disait Claude Lévi-Strauss, dans un entretien[2] à l’âge de 96 ans : “Nous sommes dans un monde auquel je
n’appartiens déjà plus. Celui que j’ai aimé avait 1,5 milliard d’habitants. Le
monde actuel compte 6 milliards d’humains. Ce n’est plus le mien. Et celui de
demain, peuplé de 9 milliards d’hommes et de femmes, même s’il s’agit d’un pic
de population, comme on nous l’assure pour nous consoler, m’interdit toute
prédiction.. Face à cette étrangeté croissante du monde, soit on
cherche à rester dans la course (par exemple les personnes âgées qui se mettent
à internet) soit on crée au contraire un milieu protecteur pour contrebalancer.
Le vieillissement se caractérise en fait par un maintien des “prises” sur le
monde alors qu’elles tendent à se dérober : des prises qui tiennent à la fois
d’activités réelles et également d’une sensation, d’un sentiment
d’appartenance.
Geoffrey Delcroix, chargé d’étude à Futuribles, a
dressé le portrait du vieillissement qui nous attend en s’appuyant sur de longs
extraits de 2030 : le big bang démographique, une coproduction Futuribles, Arte
et Mano à Mano.
RD
[1]À l’occasion de l’Université de printemps de la Fing qui s’est tenue à
Aix-en-Provence du 5 au 6 juin 2008 sur le thème du vieillissement et des
nouvelles technologies. http://www.internetactu.net/2008/06/10/upfing08-demain-une-societe-plus-agee/